Qui est Dominique Strauss-Kahn?
Affaire DSK: enquête de personnalité - Le Monde
C'est une histoire folle ; mais une histoire qui ne pouvait arriver qu'à lui. Une histoire à la mesure de Dominique Strauss-Kahn, cet homme dont les talents multiples devaient lui permettre d'aspirer aux plus nobles ambitions, mais capable de les sacrifier aux plaisirs les plus triviaux. Un homme plus épris de sa liberté que de sa réputation, séduisant en diable mais inquiétant parfois de désinvolture. Le héros d'une aventure paroxystique qui l'a vu, en un mois et demi, favori de la bataille pour la présidence de la République française, puis soudain inculpé de viol, lundi 16 mai, menacé de finir sa vie en prison, avant d'espérer ce vendredi 1er juillet une nouvelle rédemption, grâce aux soupçons qui pèsent désormais sur son accusatrice,Nafissatou Diallo.
La vertu - ou le danger - des scandales, fondés ou pas, c'est que lorsqu'ils passent sur un homme, ils le laissent nu. Disséqué. La vérité de ce qui s'est passé dans la suite du Sofitel de New York, le samedi 14 mai, n'éclatera peut-être jamais au grand jour. Mais "l'affaire" a braqué les projecteurs sur un personnage qui, malgré son rayonnement, avait jusque-là étrangement réussi à préserver ses secrets. D'un coup, DSK s'est retrouvé sous le scanner de l'opinion publique, mais aussi de ses proches. Ils voudront sans doute aujourd'hui taire cette psychanalyse de groupe qui les a occupés six semaines. Il n'empêche : ils ont passé des heures à ausculter leur champion sous toutes les coutures. Et eux aussi, par la même occasion.
De leur "lundi noir" jusqu'à leur "vendredi saint", les amis de Dominique Strauss-Kahn se sont retrouvés pour parler de "Lui". Ensemble, pas à pas, ces élus, fonctionnaires ou anciens collaborateurs, grands patrons ou amis de la famille, ont écrit de manière informelle une enquête de personnalité, comme on dit dans le monde judiciaire. Refusant de hurler avec les loups, mais s'obligeant à un discret et tardif examen de conscience. En tête-à-tête ou à plusieurs, au café ou au vert dans leurs maisons de campagne, ils ont analysé le plan de la chambre d'hôtel du Sofitel et tenté de disséquer, minute par minute, le film de l'histoire. Tous fascinés par le vertige de sa chute, en quelques heures et en direct ; mais rarement certains que leur ami soit sans tache.
Seul "profil" - comme disent les enquêteurs - qu'ils se sont refusés à retenir : celui de l'homme violent. "Dominique a toujours fui le moindre conflit !", rappelle l'un. "Il n'a jamais donné une fessée à ses enfants !", jure l'autre. "Ce n'est pas un homme courageux", se moque un troisième. Et une parente, en guise d'ultime argument :"Forcer, contraindre ? Il est trop paresseux pour ça !"
Avec passion, ils ont confronté ce qu'ils savaient - chacun - du personnage. "Je ne sais pas quels ont été ses actes à New York, mais je sais quelle a été son action à Bercy et à Washington", raconte Stéphane Boujnah, qui fut son conseiller à Bercy et dirige aujourd'hui la banque Santander à Paris. Au magasin des meilleurs souvenirs, sa rapidité à emballer les technocrates les plus austères de Bercy, sa mémoire faramineuse, sa passion précoce pour la nouvelle économie californienne, cette manière de profiter de la crise pour faire du Fonds monétaire international (FMI), vieille institution décriée, le levier du sauvetage mondial et cette façon de faire comprendre la France au monde et le monde aux Français...
Aucun d'entre eux ne prétend brosser le portrait psychologique complet du héros, mais chacun possède un morceau du puzzle. "Dominique possède cette particularité de ne révéler à chacun que ce qu'il peut entendre", analyse Stéphane Boujnah. Chacun dans sa case, c'est la règle en strauss-kahnie. "Sa liberté était plus importante que tout. Dominique a toujours considéré qu'il pouvait maîtriser son destin et mettre en place une organisation qui lui permettait de ne pas tout sacrifier, et dont il avait seul la carte", résume un député.
Dans ce club hétéroclite, courant de l'économiste Jean Pisani-Ferry aux communicants d'Euro RSCG en passant par le directeur général de Cap Gemini,Paul Hermelin, chacun ne savait au fond de "Strauss" que ce qui convenait à son propre caractère et à ses valeurs. A François Villeroy de Galhau, l'ex-directeur du cabinet de DSK au ministère de l'économie, père de cinq enfants et militant d'une éthique chrétienne dans la finance, l'époustouflant économiste, visionnaire et si rapide. A Ramzi Khiroun, le conseiller en communication qui pratique les textos codés et partage les secrets les plus indicibles, l'homme dont il faut démêler les embrouilles. Aux amis d'Anne Sinclair, sa femme, le chef de tribu convivial et joyeux des vacances familiales à Marrakech. Aux copains célibataires, le joueur amateur de femmes. "Je suis un caméléon", aime répéter Dominique Strauss-Kahn. A chacun, une facette et un seul morceau d'emploi du temps : "Toujours en retard", soupirent-ils en choeur, souvent venu "d'on ne sait où". La dérobade comme un art.
Le petit cercle sait bien pourquoi l'histoire du Sofitel a "pris". Pourquoi elle a paru crédible, malgré ses extravagances, ses zones d'ombre et le spectre d'un possible complot. "En Dominique, résume un membre de son courant, il y a le type le plus brillant de sa génération, mais il y a aussi Dark Vador", le versant noir des chevaliers de la Guerre des étoiles. Nafissatou Diallo rencontrant le patron du FMI, c'est le hasard d'un planning de ménage croisant la fatalité d'un tempérament, le poison du doute instillé en terrain favorable.
L'incroyable fait divers révèle a posteriori les réelles fragilités d'un candidat et de son dispositif présidentiel. Trop de goût pour la jouissance et le risque. Une confiance en sa bonne fortune frôlant presque l'amoralité. Et, enfin, un entourage excusant toutes ses faiblesses. Même si la justice américaine le blanchit, l'épisode aura poussé DSK à un examen médical, révélant le squelette sous le costume.
Ce rapport aux femmes, d'abord, qui se trouve au coeur de toutes les suspicions. Dans le club strauss-kahnien, ce besoin insatiable n'était pas un tabou. On en riait même, à vrai dire. "Encore une", comptabilisaient les moins farouches quand leur patron leur faisait défaut au ministère de l'économie, dans les années 1990. "Il est parti faire une course", excusait, imperturbable, le prude François Villeroy de Galhau, sans faire illusion. Le sujet s'invitait même dans les conversations de patrons et hauts fonctionnaires qui gravitaient autour de lui. "Il a, en un mois, autant d'aventures que toi et moi nous en aurons en toute une vie", s'était vu obligé d'expliquer aux jeunes impétrants l'un de ses plus anciens conseillers. "Oui, j'aime les femmes... Et alors ?", assurait DSK à Libération, en avril.
Lorsqu'ils ont vu Anne Sinclair à ses côtés, aux portes du tribunal de New York, personne n'en a pourtant été surpris. Aucun ne doute qu'ils s'aiment profondément."C'est un vrai couple", confirme Hélène Roques, sa jeune collaboratrice des années noires au conseil régional d'Ile-de-France, où il trouva refuge après sa démission du gouvernement de Lionel Jospin, en 1999. "Comme dirait Verlaine, il a choisi une femme qui l'aime et le comprend", ajoute un autre. Ils ont observé mille fois Anne Sinclair feindre d'ignorer ses oeillades aux femmes, les rafales de textos expédiées en plein dîner. Mais ils ont lu aussi les déclarations d'amour publiques qu'ils s'envoyaient l'un à l'autre, dans les moments difficiles, par communiqués à en-tête du FMI ou par blogs interposés. Ils refusaient de voir ce qu'il y avait d'atypique dans ce couple.
Sous le choc des images de leur "Dominique" menotté, ils ont recensé les alertes du passé. "Soyons francs : l'univers préféré de Dominique, c'est l'esthétique érotique d'Eyes Wide Shut", de Stanley Kubrick, se souvient une ancienne collaboratrice. A sa conseillère, Nina Mitz, il vante le Da Vinci Code, best-seller deDan Brown, dont il raffole des messages cryptés, des machinations, des rituels occultes, des libertés prises avec la morale chrétienne. Un ancien collaborateur se rappelle s'être disputé avec DSK : il était outré que son patron puisse se lancer un jour dans la course à la présidentielle en cultivant un mode de vie aussi libertin. En 2003, Le Nouvel Observateur raconte qu'un "ministre" participe à une soirée échangiste. Le collaborateur s'inquiète alors devant Dominique Strauss-Kahn d'une possible imprudence et le conjure de s'assagir. "Tu dis ça parce que tu es jaloux !", badine l'intéressé, serein. "Depuis des années, on parle de partouzes géantes,dira-t-il plus tard dans Libération. Mais je n'ai jamais rien vu sortir..."
Après l'alerte du Nouvel Observateur, ceux qui ne l'avaient pas encore compris saisissent que leur chef n'est pas un simple jouisseur. Il a la passion du jeu. "Il ne joue pas seulement aux échecs avec son ordinateur. Il joue avec le feu", note un membre de sa famille. Deux fois déjà, dans le passé, il a cru sa carrière brisée. En novembre 1999, il est forcé de démissionner de son poste de ministre des finances à la veille d'une mise en examen dans une affaire d'emplois fictifs à la Mutuelle nationale des étudiants de France (MNEF). Puis, en octobre 2008, après la révélation de sa liaison avec une économiste hongroise du FMI, Piroska Nagy. Chaque fois, il a été absous. Sa phrase fétiche : "On s'en sort toujours, avec de l'intelligence..."
Même si elle est consentie, comme l'affirme la défense, sa relation avec une femme de chambre du Sofitel, après tous ses conseils de prudence à son équipe de campagne, et alors même qu'il allait se déclarer candidat à la primaire, a rappelé aussi son goût du risque. "Son principe de vie, c'est : je fais duvélo sans les mains, même pas mal", résume Stéphane Boujnah. Au ski, avec ses amis et ses anciens collaborateurs, il aime ouvrir la voie hors piste, dans les couloirs d'avalanche. "Le pire, c'est qu'on l'y suivait", reconnaît une de ses proches.
C'est l'autre faille du système Strauss-Kahn : le ralliement complice de tous ses collaborateurs. "Qui étions-nous, pour lui dire de faire attention ? On n'osait pas", confesse un député. Lorsqu'il est nommé à Washington, ils ne sont que trois ou quatre à le mettre en garde. "Là-bas, fait gaffe, et en Afrique encore plus", tente pour la première fois de sa vie un élu. "Je sais, balaie DSK. Aux Etats-Unis, il ne faut même pas prendre l'ascenseur avec une fille. Après, elle déchire son chemisier, elle dit que tu l'as violée et elle gagne." Sa seconde femme, Brigitte Guillemette, insiste elle aussi. Il s'agace, puis boude. Deux exceptions.
Car autour de lui s'est constituée une garde rapprochée qui, au prétexte de le protéger, évite de le sermonner, quand elle n'est pas devenue "complice". A sa tête, Ramzi Khiroun. Le jeune Sarcellois s'est rendu indispensable en 1999, en fournissant - grâce à de précieuses relations chez les paparazzis, au barreau et dans la police - les procès-verbaux du dossier d'instruction qui menace alors DSK : celui de la MNEF. Le futur porte-parole du groupe Lagardère fait le siège de Dominique Strauss-Kahn, s'installe, s'impose. Voit tout, en joue : son adresse mail sonne comme un défi, "curieuxdesyeux@...".
A Hélène Roques qui s'en émeut, l'avocat Jean Veil commence par conseiller :"Fous-le dehors !", avant de se raviser, bluffé par l'entregent du jeune homme. Lorsque Pierre Moscovici s'inquiétera à son tour, un jour de campagne électorale dans le Doubs, de l'influence grandissante de Ramzi Khiroun, Anne Sinclair le coupe sèchement : "Dominique ne le lâchera jamais. Il a été là lorsque nous étions au fond du trou."
Les favoris se comptent sur les doigts de la main. L'interventionniste patron d'Euro RSCG, Stéphane Fouks, pour la communication. Le laconique Gilles Finchelsteinpour les études et les idées. Anne Hommel, pour contrôler la presse. Jean-Christophe Cambadélis, pour le parti. En appoint de Ramzi Khiroun, pour les opérations spéciales et délicates, le député Jean-Marie Le Guen. Et pour les banlieues et les secrets de Sarcelles, François Pupponi, le maire de la ville. "Ily a parfois chez DSK un manque de discernement sur son entourage, souligne Stéphane Boujnah. Cinquante personnes l'ont alerté sur le côté trop fermé de son équipe." Jusqu'à l'épisode de New York, en vain...
Enfin, lorsqu'il faisait encore figure, à gauche, de favori des sondages, DSK était parvenu à écarter les interrogations sur son train de vie, toujours embarrassantes pour un candidat du PS. Il redoutait les photos volées de son somptueux ryad à Marrakech, le signalement de sa vaste résidence, place des Vosges, le prix de sa jolie maison de briques à Washington. Les obligations de sa défense et de son assignation à résidence dans un appartement de 600 m2, loué 50 000 dollars mensuels, ont révélé d'un coup l'ampleur de la fortune de sa femme, achevant de choquer l'opinion.
Un retour en arrière est-il possible, si Dominique Strauss-Kahn bénéficie d'un non-lieu ? Ses amis le pousseront-ils à revenir en politique, eux dont les rêves, les projets et les ambitions s'étaient d'un coup écrasés au sol le dimanche 15 mai, devant les images de Dominique Strauss-Kahn menotté, visage fermé, à la sortie du commissariat de Harlem ? "Bien sûr que tout est possible", triomphait, vendredi 1er juillet, François Pupponi.
L'incroyable scénario qui s'est déroulé à New York oblige pour la deuxième fois le petit cercle à une difficile gymnastique. Depuis un mois et demi, ils s'étaient surpris, navrés, à psychanalyser leur héros à l'imparfait, désacralisant tout ce en quoi ils avaient cru. A nouveau, en quelques heures, ils doivent conjuguer Dominique Strauss-Kahn au présent, voire au futur. Vendredi, soucieuse de tirer parti de cette thérapie familiale, la députée (PS) Marisol Touraine mettait en garde ses amis : "On ne revient pas au statu quo ante."
Raphaëlle Bacqué et Ariane CheminLibellés : affaire dsk, dernières nouvelles en continu, Dominique Strauss-Kahn, Le Monde
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