Aung San Suu Kyi libérée: les quatre échecs de la dictature
Aung San Suu Kyi libérée: les quatre échecs de la dictature - L'Experss
Retour sur les raisons et les conséquences de la libération de l'opposante birmane, Prix Nobel de la paix 1991. L'analyse de Christian Makarian, directeur adjoint de la rédaction de L'Express.
L'annonce de la libération d'Aung San Suu Kyi, ce samedi 13 novembre, intervient au coeur d'une séquence asiatique particulièrement riche, laquelle vient confirmer, si besoin était, que ce continent est désormais au centre du monde. Après l'attribution du Prix Nobel de la paix au dissident chinois Liu Xiabao, la visite à Paris du président chinois, Hu Jintao, le sommet du G 20 à Séoul, les premières images de la grande figure de la démocratisation en Birmanie interviennent comme une apothéose. Une foule (impossible à évaluer réellement) en liesse, le visage souriant de l'héroïne d'un peuple soumis à une terrible dictature, l'espoir qui renait.
Risque minimal pour la junte
Derrière cette joie oh combien légitime, se dessinent néamoins des rapports de force qui restent très tendus.
Au plan intérieur, la junte dominée par le général Than Shwe, qui déteste personnellement Aung San Suu Kyi, ne procède à cette libéralisation -très limitée- qu'au terme d'élections emportées haut la main (80 %) et très largement truquées. Certes, une liste d'opposition a vu le jour et obtenu quelques résultats, mais rien qui puisse se rapprocher d'un pluralisme.
C'est repu et sûr de lui, que Than Shwee relâche donc un peu la bride, avec la certitude qu'il ne prend guère de risques. D'une part, les opposants les plus significatifs regroupés autour d'Aung San Suu Kyi ont été éliminés, dispersés ou réduits au silence. D'autre part, en l'absence de structures et de réseaux, Aung San Suu Kyi est privée de moyens d'action. De surcroït, elle a visiblement accepté de se plier à une règle en échange de sa sortie de résidence surveillée : aider son pays à déserrer l'étau des sanctions internationales - objectif imposé par la junte.
Quelle sera donc la marge de manoeuvre de la grande dame, immensément patriote? Impossible à dire, car personne n'a à ce jour recueilli la moindre de ses confidences. On ne sait pas ce qu'elle pense dela situation présente, et c'est bien le problème. Jouira-t-elle de la liberté d'aller et venir, de celle de s'exprimer? Rien n'est moins sûr. Reverra-t-elle un des ses fils (exilé à Londres), qui demande au régime birman de l'autoriser à venir rendre visite à sa mère? Cette information est loin d'être confirmée. Pour l'heure cette "grâce" de Than Shwee ne permet pas vraiment d'affirmer que le combat de la démocratie a repris.
Pressions internationales
Il reste - bonne nouvelle! - que la junte a cédé aux pressions internationales, intenses et sourtenues. A celles de l'ONU, dont le secrétaire général, le Sud-coréen Ban Ki Moon, est personnellement engagé dans cette lutte. A celles des pays occidentaux qui n'ont cessé d'inviter les grands acteurs de la région à user de leur influence sur le Myanmar (nom donné par la junte à la Birmanie). Au premier rang, la Chine et l'Inde, deux pays qui ont une réelle influence. Lors de la visite à Paris de Hu Jintao, Nicolas Sarkozy a demandé à ce dernier d'agir en faveur d'Aung San Suu Kyi. De même, en partance pour Séoul, le président français a téléphoné au leader indien pour le prier de ne pas rester inactif, et ce dernier a accepté de joindre par téléphone Than Shwee.
Enfin, les sanctions très lourdes qui pèsent sur la Birmanie compliquent à souhait la gestion gouvernementale et contribue à l'impopularité des militaires. Contrairement à une opinion répandue, les sanctions trouvent, dans le contexte actuel de mondialisation, un impact croissant. Même le régime iranien en souffre bien plus qu'il ne le laisse entendre.
Au final, Aung San Suu Kyi a remporté une grande victoire, malgré les réserves et restrictions qui s'imposent. Celle d'être devenue une icône de l'action non violente, celle d'avoir continué à entretenir l'espérance de son propre peuple, celle d'avoir contraint les militaires à constater leurs limites, celle d'avoir soulevé la joie du monde entier. Quatre échecs pour le régime de Than Shwe.
Libellés : Aung San Suu Kyi, dernières nouvelles en continu, dictature, L'Express, libérée, opposante birmane, Prix Nobel de la paix 1991
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