La baisse du chômage en Allemagne est artificielle
"La baisse du chômage en Allemagne masque une plus grande précarité" - Le Monde
Sur le front du chômage, l'Allemagne fait partie des bons élèves européens. Elle est l'un des rares pays à avoir vu son taux de chômage baisser sur un an. Il était de 6,7 % en septembre 2010, selon Eurostat, quand celui de la zone euro s'établissait à 10,1 % de la population active. Une situation qui coïncide avec une reprise de la croissance (3,5 % prévus en 2010, 1,8 % en 2011) et qui pose la question d'un"miracle allemand" au milieu d'une Europe en plein marasme économique. Henrik Uterwedde, économiste et directeur adjoint de l'Institut franco-allemand de Ludwigsburg, estime cependant que ce maintien de l'emploi s'est fait au prix d'un creusement des inégalités.
Comment expliquez-vous cette situation de l'emploi en Allemagne ?
Henrik Uterwedde : Principalement parce que la gestion de la crise s'est faite grâce à un accord inédit entre le gouvernement, le patronat et les partenaires sociaux, portant sur le travail à temps partiel. Dès 2007, les Allemands ont préféré se dire que la crise était passagère, et que les entreprises avaient intérêt à garder le plus grand nombre possible de personnels qualifiés. Pour des questions sociales, certes, mais aussi pour ne pas manquer de bras au moment de la reprise.
Parmi les décisions adoptées, l'extension du cadre législatif appelé "Kurzarbeit" a été selon moi décisive. Ce dispositif permet à une entreprise de réduire de 50 % le temps de travail (20 heures au lieu de 38 hebdomadaires), qui engendre une baisse de 50 % du salaire. L'agence pour l'emploi allemande prend ensuite en charge jusqu'à 30 % de la moitié manquante de la paie, en fonction de la situation familiale du salarié. L'Etat et les partenaires sociaux ont décidé d'étendre la durée du dispositif de six à vingt-quatre mois. Beaucoup d'entreprises, après accord interne, ont choisi d'appliquer ce mécanisme.
Lors du pic de la crise, en mai 2009, près de 1,6 million de personnes ont été concernées par le "Kurzarbeit", dont un tiers travaillaient dans la branche métallurgique (incluant l'automobile). Même IG Metall, le très puissant syndicat de la métallurgie, a accepté la mesure, qui a coûté plusieurs milliards à l'Etat allemand, et qui devrait disparaître d'elle-même avec la reprise et le remplissage des carnets de commandes des usines fortement exportatrices. Cela a permis d'éviter les plans sociaux, qui auraient installé beaucoup de monde dans un chômage de longue durée.
Mais la crise a tout de même eu des effets sur les travailleurs allemands ?
Même si certains mécanismes comme le "Kurzarbeit" ont fait la preuve de leur efficacité, il faut rappeler que cela a conduit à une diminution de 20 % des salaires. Et que ceux-ci, depuis dix ans, ont globalement stagné en Allemagne, contrairement aux autres pays européens. De plus, cette moyenne ne rend pas compte du creusement des inégalités : le revers de la médaille du maintien de l'emploi a été l'augmentation prononcée de la précarité.
A vrai dire, on frôle même les abus et l'exploitation en ce qui concerne les temps partiels et les bas salaires. Postes en intérims, CDD, ou même les mini-jobs, ces emplois de quelques heures hebdomadaires rémunérés 400 euros par mois sans charges sociales pour le salarié ont été, ces dernières années, la règle pour un nombre important de travailleurs du tertiaire. [Les "mini-jobs" concernent encore 12 % de la population active.]
Ce sont surtout les emplois non qualifiés (employés de supermarchés, agents d'entretien…) qui ont le plus pâti du système. Les entreprises ont largement préféré faire appel à deux ou trois mini-jobs, fiscalement avantageux, plutôt que d'embaucher pour de bon une personne. On peut ainsi estimer actuellement à 6,7 millions le nombre de travailleurs mal payés en Allemagne.
Quels seront les effets de la reprise actuelle ?
Le climat est actuellement assez exceptionnel, dans le sens où même le patronat et la droite disent que les salariés méritent une hausse des salaires. La reprise est vécue comme la fin de la modération et des sacrifices : les renégociations des conventions collectives, qui auront lieu dans les prochains mois, vont s'inscrire dans ce contexte où chacun demande son dû.
Les syndicats espèrent que l'élan de la reprise conduira à des avancées. Pour ceux qui travaillent, cela signifie soit une hausse des salaires, soit la sécurité de l'emploi. Et pour ceux qui sont au chômage, il s'agit d'avoir de meilleures garanties financières en période de précarité ou de reprise du travail. Cela pourrait passer, par exemple, par la création d'un smic allemand.
Libellés : Allemagne, chômage, dernières nouvelles en continu, Le Monde, précarité
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